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Avortement au Burkina : Lever le tabou et poser enfin le débat

mercredi 27 décembre 2017

Alice est élève en classe de 1ère D à Ouagadougou, au Burkina Faso. Trois ans plus tôt, elle a été violée à l’école par deux de ses camarades et en est tombée enceinte. Ne voulant pas garder cette grossesse non désirée, elle a sollicité et obtenu les services d’un agent de santé pour un avortement clandestin. Mais, depuis lors, la jeune fille en garde des séquelles, aussi bien physiques, psychologiques que morales. Pourtant son cas était éligible pour un avortement légal. Manque d’informations, peur de la stigmatisation, lenteur des procédures judiciaires… empêchent des victimes de viol ou d’inceste de recourir à la justice pour bénéficier d’un avortement légal et sécurisé au Burkina. Le débat s’installe et il faudra lever le tabou, tôt ou tard.

Toute une vie, si jeune, bascule en l’espace d’une soirée. Lors d’une nuit culturelle, organisée dans son établissement scolaire, Alice est victime de viol. Deux de ses camarades abusent d’elle dans une salle de classe. C’est le début du calvaire pour la jeune fille, jusqu’alors vierge. Après des semaines, recluse seule dans sa chambre, revivant la scène d’horreur en larmes, elle n’est pas au bout de ses peines. Elle se rendra compte plus tard qu’elle a un ‘’retard’’. Le test de grossesse confirme qu’elle est bien enceinte.

C’est là qu’elle prend son courage pour voir un agent de santé. Sa volonté : se débarrasser de la grossesse avant d’éveiller les soupçons. Malgré les résistances de l’agent de santé, la jeune fille en pleurs parvint à le convaincre, non sans proposer une enveloppe financière conséquente. L’avortement clandestin est fait. Mais sa scolarité piétine depuis lors. Le risque énorme qu’elle a pris hante toujours son existence.

Les grossesses non désirées se multiplient au Burkina, au fil des années. Et, malheureusement, 1/3 de ces grossesses finissent par des avortements clandestins, selon une étude réalisée par l’Institut supérieur en sciences de la population (ISSP) de l’Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo et l’institut Guttmacher. Les résultats publiés en février 2014, montrent que le taux de l’avortement provoqué clandestinement tourne autour de 25 pour 1000 par an

Malgré l’arsenal juridique qui entoure l’avortement, il se pratique par plusieurs acteurs. « Dans notre étude, on a vu que 23% des cas d’avortement ont été faits par la femme elle-même en utilisant plusieurs types de moyens pour arriver ; 28% par le corps médical dont 3% de docteurs hautement qualifiés, 12% par des agents formés, 13% par des sages-femmes ou des maïeuticiens d’Etat ; et 41% par des tradi-praticiens », détaille Dr Georges Guiella, démographe, enseignant-chercheur à l’ISSP.

Un droit méconnu

Comme Alice, de nombreuses filles et femmes font recours à l’avortement clandestin. Avec des conséquences souvent dramatiques. Alice ne s’est pas référée à la justice parce qu’elle ne savait pas que la loi autorise l’interruption volontaire de grossesse en pareille circonstance, mais aussi à cause du regard de la société. « Je ne savais pas, c’est vrai, mais même si j’avais su que la loi m’autorisait, je n’allais jamais aller vers la justice parce que tout le monde saura que j’ai été violée, mais aussi que j’ai avorté et on va me regarder comme une criminelle », explique-t-elle, retenant difficilement ses larmes, malgré le temps écoulé.

Certes, l’avortement provoqué est interdit au Burkina. Mais, il est autorisé dans certaines circonstances : en cas d’inceste, de viol, lorsque la vie de la mère est en danger, ou encore, lorsqu’il y a malformation du fœtus (Article 21 de la loi portant santé de la reproduction au Burkina Faso et article 483 du code pénal). En ce qui concerne les cas de malformation du fœtus ou de l’état de santé de la mère, la demande peut être faite à tout moment et pour l’attester, il faut l’avis de deux médecins dont un exerçant dans le public. Il faut également l’autorisation du juge. En cas de grossesse incestueuse ou liée à un viol, la procédure est plus complexe car il faudra prouver la matérialité de la détresse de la victime et l’avortement ne peut se faire au-delà de la 10e semaine de la grossesse.

« En matière de viol ou d’inceste, le juge va attendre qu’il y ait une expertise d’un médecin qui atteste que réellement, il y a eu viol. Pour l’inceste, on mène des enquêtes pour savoir le lien de parenté qui existe entre les deux personnes concernées », explique Hierbine Aïcha Palé, directrice générale du cabinet Human Wright Consulting, juriste de formation, spécialisée en histoire, théories et pratiques des droits de l’Homme.

« Il y a des cas où des victimes de viol ou d’inceste ont entamé la procédure jusqu’à ce que les dix semaines soient dépassées sans pouvoir avoir droit à l’avortement. La lenteur au niveau de toute la procédure fait partie des insuffisances que nous avons relevées en tant qu’activistes dans la santé sexuelle et reproductive », précise Cécile Thiombiano/Yougbaré, juriste, activiste dans le domaine de la Santé sexuelle et reproductive (SSR).

Une longue marche pour jouir d’un droit

Ainsi, les victimes de viol ou d’inceste désirant avorter sont confrontées à des difficultés de plusieurs ordres : le cadre juridique, le système de santé burkinabè, les pesanteurs socio-culturelles et les réticences liées aux discours sur le statut juridique de l’embryon ou du fœtus. Selon la loi en vigueur au Burkina, l’avortement légal, même thérapeutique, ne peut être réalisé que par un médecin. Et pour ne rien arranger, le code pénal exige l’avis de deux médecins. Pourtant, au Burkina, les médecins ne courent pas les rues.

L’accès à un avortement médicalisé sécurisé n’est pas pour demain. Pourtant, il fait partie des engagements pris par notre pays au niveau régional, à travers le protocole de Maputo adopté par les chefs d’Etat et de gouvernement africains en 2003, ratifié par le Burkina en 2005 A son article 14 alinéa 2, ce protocole fait obligation aux Etats d’offrir l’avortement médicalisé dans les cas de viol, d’inceste, quand la vie de la mère est en danger, en cas de malformation du fœtus.

Aussi, la 117e session du Comité des droits de l’Homme de l’ONU tenue à Genève, en juillet 2016, avait recommandé aux autorités burkinabè d’éliminer les obstacles pour accéder à l’avortement légal qui incitent les femmes à recourir à des avortements à risque et de lever l’exigence d’une autorisation préalable du tribunal pour les avortements résultants d’un viol ou d’un inceste.

C’est ce que recommande aussi l’étude de l’ISSP et l’institut Guttmacher : la simplification de la procédure là où la loi autorise l’avortement. « Actuellement, c’est comme si on dit que vous avez accès à de l’eau qui est dans un puits, mais on ne vous donne pas de puisette pour en prendre, comment la personne peut avoir accès à l’eau ? », image Dr Georges Guiella.

Au niveau de la société burkinabè, la question liée à l’avortement est très sensible, avec des opinions et des positions divergentes. L’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF), pionnière dans la promotion des services de qualité en Santé sexuelle de la reproduction fait partie des structures qui portent le plaidoyer en faveur de l’assouplissement de la loi. Sur la question de l’accès à l’avortement légal, l’ABBEF et d’autres organisations actives dans la santé de la reproduction plaident pour une meilleure compréhension de la question afin que les victimes de grossesses incestueuses ou liées à un viol puissent entrer dans leur droit. « Notre préoccupation est que si la loi l’autorise, que les personnes éligibles puissent véritablement avoir le service. Et nous travaillons à ce que cette loi qui garantit ce droit puisse être véritablement connue et appliquée pour que les victimes puissent bénéficier de leur droit », explique Boureihiman Ouédraogo, directeur exécutif de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF).

La politique de l’autruche ?

Les anti-avortements, eux, brandissent les risques de dérives pour justifier leur position. L’ex-ministre de la promotion de la femme, par ailleurs enseignante-chercheure et spécialiste en genre et développement, Dr Nestorine Sangaré/Compaoré en fait partie. Pour elle, il faut plutôt combattre le fléau à la racine. « Ce sont les violences sexuelles, la précocité sexuelle, le libertinage et la sexualité transactionnelle qui sont les causes des grossesses non-désirées qu’il faut combattre », soutient-elle. Avant d’enchainer : « Connaissant la société burkinabè, si on légalise l’avortement, c’est la porte ouverte aux dérives. L’avortement n’est pas une solution aux comportements sexuels à risque », insiste-t-elle.

Dr Sangaré évoque aussi « les conséquences psychologiques, spirituelles, sociales, morales, sanitaires de l’après-avortement ». « Travaillons à limiter au maximum possible le nombre de grossesses plutôt que de mettre beaucoup de moyens à promouvoir l’avortement qui n’est pas une solution. Je pense que dans notre pays, il faut poser le débat sur la table plutôt que d’en faire un débat entre intellectuels ou associations », martèle l’ex-ministre de la promotion de la femme.

Respecter les engagements pris au niveau international

Selon plusieurs spécialistes des questions de SSR, en plus des mesures contraceptives, l’accès à l’avortement légal fait partie des solutions pour réduire les avortements clandestins. Mais, il faut aller par étape, en fonction du contexte. « L’approche droits humains et santé publique voudrait que nous puissions ouvrir le droit à l’avortement aux filles et aux femmes pour éviter que les gens tombent dans la clandestinité », propose Cécile Thiombiano/Yougbaré. Aussi, les activistes invitent-ils l’Etat du Burkina à mettre effectivement en œuvre le protocole de Maputo. Mais aussi travailler à l’effectivité des lois nationales, avec diligence.

L’autre combat qui mérite d’être mené, c’est la lutte contre la stigmatisation. « La stigmatisation est une erreur. Ce sont des situations dramatiques qui les motivent à avorter. Donc, il faut aller vers la sensibilisation pour éviter que les gens ne soient pas dans cette situation qui les oblige à avoir recours à l’avortement clandestin », conseille Dr Guiella.

« Ces personnes ont besoin du soutien de la société. Donc, il ne nous appartient pas de les stigmatiser, mais de compatir et de les amener à sortir de cette situation et prendre les dispositions en utilisant les services de planification familiale pour éviter que des grossesses non désirées ne s’installent, a fortiori de parler d’avortement », précise Boureihiman Ouédraogo.

Mieux clarifier les valeurs sur l’avortement

« En tant qu’association nationale, avec d’autres agences, d’autres collaborateurs, d’autres ONG, d’autres associations, nous faisons le plaidoyer auprès des autorités pour que cette loi soit connue et assouplie dans ses conditions d’application parce qu’il y a des conditions d’application qui sont assez implicites », précise le directeur exécutif de l’ABBEF. Ainsi, dans ses activités, l’ABBEF a initié des modules de formation appelés « clarifications des valeurs sur l’avortement ». Des ateliers sont organisés dans ce cadre au profit des agents de santé, des agents de la justice et tous ceux qui peuvent concourir à rendre disponible ce service.

C’est dire l’impérieuse nécessité de corriger le cadre juridique burkinabè en matière d’accès à l’avortement. « On voit évoluer les chiffres et la tendance est qu’on va de mal en pire sur les questions de la survenue des avortements clandestins. Aujourd’hui, il faut lever le tabou », propose Cécile Thiombiano.

L’accès à l’avortement légal et sécurisé n’est pas une porte fermée à la sensibilisation à mener en amont pour l’éviter. Elle doit se poursuivre et s’intensifier. Il appartient aux différents acteurs de la chaine, y compris l’Etat du Burkina, de travailler à débroussailler la route qui mène au respect de ce droit. Le droit à l’avortement doit également être une garantie dont la jouissance ne saurait être un parcours de combattant pour les potentielles victimes d’agressions sexuelles. Il vaut mieux être informé et avoir accès à ses droits qui préservent la vie, même si on ne les utilise pas, que d’être ignorant au point de mettre sa vie en péril.

Moussa Diallo
Lefaso.net

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