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Ouagadougou/Entrepreneuriat féminin : Aïda Bélemtougri, jeune fille déscolarisée qui a choisi d’entreprendre dans la livraison

mercredi 29 novembre 2023

Communément appelé livreur, le métier de coursier connaît une explosion d’offres et de demandes dans la ville de Ouagadougou. C’est une activité très mobile qui requiert un sens élevé de l’organisation mais aussi de la ponctualité. Il fait partie des métiers étiquetés au masculin en raison de son caractère physique. Pourtant, un faible échantillon de la gent féminine s’y adonne. C’est le cas de Aïda Bélemtougri, jeune fille livreuse qui a décidé de mettre de l’huile de coude pour subvenir à ses besoins. Lefaso.net est entré dans l’univers de cette "grouilleuse" qui casse les codes de la livraison.

Tenue de travail adaptée, casque à la tête et chaussures fermées, Aïda Bélemtougri, livreuse de colis et de marchandises à Ouagadougou, s’apprête à débuter une journée classique de travail. Avant d’affronter la circulation et le chaud soleil de la capitale, elle passe quelques coups de fil avec ses clients afin de se rassurer des lieux où les affaires doivent être livrées. Sur la terrasse de son domicile, sont entreposés des cartons, des paquets et des emballages. Le tout doit être livré dans la journée. Mais elle se fait assister dans cette tâche par deux jeunes hommes qu’elle emploie. Vêtus d’uniformes de travail, ces derniers prennent les références de leurs missions du jour avec Aïda. A peine les consignes reçues et quelques commentaires échangés, ils prennent le chemin du travail avec leurs motocyclettes.

La jeune fille nous confiera par la suite qu’elle les emploie mais les considère comme ses collègues. « On travaille en famille mais je suis très stricte avec eux sur la courtoisie vis-à-vis de mes clients. Et quand ce point n’est pas respecté, je me sépare immédiatement d’eux car je souhaite que mon entreprise ait une bonne image. Pour cela, j’appelle mes clients après leurs livraisons pour savoir s’ils sont satisfaits de la prestation », ajoute-t-elle.

Une entreprise née de difficultés

A moins de 25 ans, la jeune fille qui vit avec sa mère a été contrainte par les réalités de la vie à entreprendre. Elle a arrêté ses études de génie civil en classe de première, il y a environ quatre ans faute de moyens. Confrontée à cette situation, Aida abandonne l’école pour d’abord vendre des pièces détachées avec un commerçant au marché avant d’entreprendre dans la vente d’attiéké.

C’est durant cette période que la jeune vendeuse de semoule de manioc, en voulant se rendre utile, voit une opportunité. Elle la transforme en une activité régénératrice de revenus. « Un jour, une dame qui a acheté des ustensiles de cuisine près de ma table de commerce cherchait un livreur pour l’aider. Je me suis proposée de livrer sa marchandise. Après quelques hésitations, elle m’a finalement fait confiance et j’ai embarqué le tout sur ma moto, du quartier Sinyiri au quartier Nagrin. J’ai facturé la course à 1 500 francs CFA et au retour j’ai encore eu une autre livraison à faire jusqu’à la commune de Saaba mais cette fois ci au prix de 2 000 francs CFA », relate la jeune livreuse.

C’est de cette recette journalière inattendue que naît le déclic. Elle abandonne alors la vente d’attieké qui, selon ses dires, ne lui rapportait pas grand-chose. Ayant toujours été attirée par les métiers dits d’homme, d’où son choix de la filière de génie civil à l’école, la jeune fille ne se pose pas trop de questions. « J’ai commencé les livraisons avec la moto que j’utilisais pour aller à l’école. J’ai économisé et j’ai pu acheter une deuxième moto, ce qui m’a permis d’avoir les collaborateurs avec qui je travaille. »

« Sur le terrain je ne suis pas une femme mais je suis un homme »

« Je livre tout type de marchandises. Parfois, je dépose et je récupère des enfants à l’école. En général, je livre des colis légers, mais si une cliente ou un client a un matériel lourd, je me débrouille pour l’attacher sur ma moto pour y aller », nous dit fièrement la jeune livreuse. Même si elle reconnaît que ce n’est pas un travail facile pour elle, lorsque c’est fait avec amour, on ne voit pas les difficultés et on persiste toujours. Sa nature serviable serait un atout dans ce domaine qu’elle a choisi. « Le fait d’aider les gens dans leurs urgences et dans leurs courses me fait plaisir. »

Par ailleurs, Aida déplore le désintérêt des filles vis-à-vis de cette activité. « Peut-être qu’il existe d’autres filles qui font ce travail, mais personnellement je n’en connais pas. Aucune fille ne m’a déjà approchée pour travailler avec moi car elles voient ça comme un métier d’homme. Sur le terrain, je ne suis pas une femme mais je suis un homme car ce qu’il fait en tant que livreur je peux aussi le faire. »

En guise d’exemple, elle évoque une situation où un de ses collègues livreur l’a recommandé à sa cliente car il avait un empêchement. A la suite de sa prestation, la cliente a tellement été satisfaite qu’elle lui fait fréquemment appel. « Je ne dis pas que je suis la meilleure de toute la ville, mais je veux faire comprendre que j’ai ma place dans ce milieu bien que je sois une femme », précise Aida.

Des difficultés liées à l’activité mais pas au genre

« Nous faisons face à des clients souvent très compliqués et capricieux qu’il faut savoir gérer. Il faut de la patience pour faire ce travail parce qu’il peut arriver qu’un client te mette la pression et te fasse attendre pendant plus de 30 minutes sous le soleil. Aussi, il y a des personnes qui manquent d’honnêteté sur leur quartier. Par exemple, un client peut me demander de prendre un colis en ville pour le livrer dans le quartier de Pissy et nous nous entendons sur le montant. Cependant, une fois arrivée, je me rends compte que c’est dans le quartier de Zagtouli mais il refuse d’ajouter le surplus de la distance. Ce sont des difficultés que tous les livreurs rencontrent. »

La jeune fille est, selon elle, beaucoup plus confrontée aux difficultés morales comme les moqueries et le manque de soutien au sein de son entourage. En dehors de sa mère qui la soutient, elle n’a pas d’encouragements d’autres proches. « Certaines personnes se moquent de moi mais je n’y prête pas attention, je me focalise sur mes objectifs. Mieux vaut toujours gagner honnêtement sa vie que de compter sur une tierce personne ou emprunter un raccourci. Je me définis comme une femme avec une mentalité différente des autres femmes vis-à-vis du travail », indique-t-elle.
Les réseaux sociaux, notamment Facebook, permettent à la jeune livreuse de se faire connaître.

Mais en dehors de la visibilité qu’elle recherche sur internet, Aïda dit mettre un point d’honneur à la courtoisie et la politesse envers sa clientèle pour les fidéliser. La jeune fille espère plus tard avoir un tricycle pour facilement livrer les colis très spacieux et lourds. « Je pourrais encore reprendre les études pour approfondir mes connaissances mais pas en génie civil encore. Dans le futur, j’aimerais avoir des voitures pour faire mes livraisons et pourquoi pas avoir des camions pour transporter des marchandises depuis les pays qui ont des ports pour emmener au Burkina, car je suis très passionnée du domaine du transport et du transit. »

Aïda Bélemtougri souhaite que les filles et les femmes ne soient pas complexées de mener des activités dits d’homme et de ne sous-estimer aucun métier car toute activité qui nourrit son homme a de la valeur.

Farida Thiombiano
Lefaso.net

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