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Ouagadougou : Entre tissage, nettoyage et lessive, ces femmes déplacées internes ne lâchent rien !

vendredi 13 octobre 2023

Ne s’étant pas fait enregistrer dans les sites d’accueil, des femmes déplacées internes, venues de différentes zones d’insécurité du pays, ont été accueillies dans des familles ou dans des maisons de fortune dans la capitale burkinabè et ses périphéries. Elles ont certes tout perdu dans leur fuite mais pas leur résilience. A la fois mères et pères, ces femmes ne reculent devant rien pour apporter du pain sur la table de la famille. Nous avons suivi le quotidien de quelques-unes d’entre elles. Une aventure pleine d’émotions !

Mariam, Rihanata, Asséta, Aïcha et Diane. Chacun de ces noms mérite qu’on s’y attarde. Sur leurs visages, difficile de lire la tristesse ou la joie. Ces femmes Personnes déplacées internes (PDI) venues de Kaya, Djibo, Pensa, Foubé, et autres, ne laissent aucune émotion transparaître. Si ce n’est leur courage et leur résilience. Ayant fui les affres des terroristes, elles arpentent habitations et services de la capitale burkinabè et environnants pour proposer leurs services.

Veuves et cheffes de ménages, orphelines et autres, ces femmes mènent tout type de « petits boulots », pour subvenir aux besoins de leurs familles. Malgré les pertes subies en fuyant les terroristes, leur résilience demeure inébranlable.

Assise sur sa machine à tisser au service de la production du CFPIT (Centre de formation professionnelle d’innovation textile) de Saaba (commune rurale située à l’est de la capitale burkinabè), en cette matinée de ce 21 août, Mariam Sebogo, 17 ans, tisse, l’air tantôt pensif, parfois égayé.

Le processus de tissage semble être un refuge pour cette jeune fille qui semble mélancolique et taciturne au premier abord. « On a fui notre village Pensa, derrière Kaya, avec mon père, ma mère et mes frères. Mais, quand nous sommes arrivés à Tanguen (l’un des 23 villages de la commune rurale de Saaba), mon père est tombé malade et il est décédé », raconte-t-elle les yeux presque humides. Bien que le décès remonte à six mois, la douleur de la perte de son géniteur reste toujours vive pour l’adolescente.

Arrivée il y a deux années dans ce village, cette jeune déplacée interne de Pensa a saisi l’opportunité offerte par le Centre de formation professionnelle d’innovation textile (CFPIT). En octobre prochain (2023), elle célébrera d’ailleurs son premier anniversaire de travail au sein du centre. « Ce que je gagne chaque fin de mois, je le donne à ma mère et elle ajoute à ce qu’elle gagne dans les travaux champêtres pour qu’on achète à manger à la maison, payer le loyer (5 000 francs), et faire nos petites dépenses », lâche-t-elle avec un petit brin de sourire qui illumine son teint ébène.

L’orpheline Mariam Sebogo, assume un rôle d’adulte pour soutenir sa mère devenue veuve et cheffe de famille, en travaillant au métier de tissage. « Elle s’y donne à fond, elle est très déterminée et elle fait partie de l’une de nos meilleures tisseuses », témoigne l’un des responsables du service teinture du centre, M. Compaoré. L’adolescente rêve même d’avoir son propre atelier un jour et de pouvoir aider sa mère devenue cheffe de ménage à scolariser ses frères âgés respectivement de cinq et sept ans.

Asséta Sawadogo (40 ans), et sa fille Diane Kafando (18 ans), également déplacées internes et résidentes du village de Tanguen, ont également saisi l’opportunité offerte par le CFPIT. Employées depuis l’ouverture du centre en janvier 2023, mère et fille y assurent les tâches de nettoyage et semblent y trouver satisfaction. Complices lors de cette matinée du 21 août, elles se murmurent comme des amoureuses, se confient à nous sans réserve, tout en effectuant leur travail de nettoyage.

« Nous avons fui Foubé pour venir nous installer ici avec notre famille et avons pris une maison. Au début, nous avons cherché du travail en vain et avons ramassé du sable pour vendre. C’est là-bas que nous avons appris que le CFPIT cherchait des gens, et quand nous sommes venues, nous avons été recrutées, ma fille et moi, pour le nettoyage des salles. Donc, nous faisons le nettoyage ici au cours des matinées, mais nous continuons de ramasser le sable pour vendre, parce que ça ne suffit pas. Nous sommes nombreux. J’ai sept enfants, deux petits-fils, mon époux et moi, donc dix personnes à nourrir. Alors que mon mari n’a pas de travail. C’est difficile, mais nous faisons avec le peu que nous gagnons ici et ailleurs », explique-t-elle, dissimulant difficilement son inquiétude.

Son seul souhait, c’est le retour de la paix afin qu’elle puisse regagner son village avec sa famille et retrouver sa vie de sérénité.

Dans le petit village de Tanguen, peuplé de plus 1 993 âmes (données de population consolidées en 2012 issues du recensement général de 2006), où quelques PDI ont trouvé refuge, la famille XXL de dame Sawadogo habite une modeste maison endommagée par la pluie de la veille (20 août 2023) lors de notre passage (pour une question de dignité, nous n’avons pas pris de photo).

Mais en attendant ce retour évoqué par la plupart d’entre elles, ces femmes PDI résidentes de Tanguen peuvent toujours compter sur la bonne samaritaine, la promotrice du CFPIT, Germaine Compaoré/Bonkoungou, pour qui, les aider est un devoir moral et sa modeste contribution à la dynamique de solidarité sollicitées par les premières autorités du pays et surtout à des gens qui sont dans le besoin. Car selon elle, ces femmes n’ont pas demandé à être dans la situation dans laquelle elles se trouvent. « Peut-être qu’elles étaient nanties et vivaient à l’aise dans leurs localités sans problème et n’ont pas demandé à être dans cette situation dépourvues de tout. Et personne ne sait si elle ne sera pas dans la même situation un jour », s’est-elle justifiée, tout en indiquant que c’est pourquoi, lorsqu’on a la possibilité de faire quelque chose pour ces personnes, il ne faut pas hésiter.

Le CFPIT embauche actuellement quatre femmes PDI qui y travaillent, avec une dizaine sur la liste d’attente qui doivent commencer courant septembre 2023, a expliqué la promotrice. Mais l’employeuse ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle dit développer des projets pour ces milliers de personnes qui ont été forcées de quitter leurs domiciles et errent dans la nature. Si toutefois les moyens le lui permettent, dame Compaoré se déplacera dans les sites d’accueil de PDI pour partager son expertise en matière de tissage.

Comme Mariam, Asséta et Diane, Salamata, Rihanata et Aïcha sont aussi des femmes déplacées internes vivant elles aussi dans la capitale burkinabè. Ayant échappé à la colère de ces « bandits religieux », elles se sont établies dans le quartier Nonsin, en plein cœur de Ouagadougou, où elles vivent avec leurs familles.

Bien que la région du Centre ne fasse pas partie des zones d’accueil, des milliers de PDI ne cessent d’y affluer. Une situation qui a poussé les autorités, selon le directeur régional en charge de l’action humanitaire, Issaka Pamtam, à mettre en place des moyens pour les soutenir, même s’ils ne sont pas conséquents comparés à ceux octroyés aux sites d’accueil officiels. Et dans la dynamique d’améliorer ces aides, un système de recensement a été initié afin de les avoir dans la base des données, souligne le directeur régional, tout en indiquant qu’à la date du 30 juin 2023, la région du Centre enregistrait 43 983 PDI, dont 24 342 femmes et 19 641 hommes. La ville de Ouagadougou à elle seule enregistrait 29 396 PDI à cette même date, dont 16 370 femmes et 13 026 hommes, a-t-il précisé.

Logeant dans des maisons de fortune octroyées par une personne de bonne volonté, la vie semble reprendre son cours normal de ce côté. Elles se sont sans doute intégrées et se battent chaque jour pour apporter le sourire à leurs enfants.
Dans l’après-midi de ce 25 août 2023, Salamata Sebogo, âgée de 26 ans, et mère de trois jeunes enfants, nous accueille avec un sourire chaleureux au sein d’une cour commune inachevée de plusieurs maisons sans portes, octroyée par un parent, à l’en croire. Entourée de ses enfants et de ceux de sa coépouse, la jeune mère de famille, visiblement épuisée mais souriante, prépare le dîner dans une maison inachevée transformée en cuisine pour la circonstance. Elle vient de rentrer après presque neuf heures de lessive dans une famille. Elle explique qu’elle parcourt plusieurs kilomètres à vélo pour laver les vêtements au sein des familles.

« Je peux avoir 1000, 1500, jusqu’à 2000 francs CFA par jour. Mais, il arrive aussi qu’on sorte et qu’on n’ait rien, parce que souvent mêmes les gens ont peur de nous donner leurs habits. Mais nous n’avons pas d’autres choix. Si nous ne faisons pas ça, nos enfants n’auront rien à manger et nous n’avons pas d’autres sources de revenus », confie-t-elle.

Sa coépouse, Rihanata Sawadogo, la vingtaine et mère de deux enfants qui est elle aussi lessiveuse, que nous rencontrerons le lendemain (22 août) à sa descente autour de 17h, explique qu’elles ont cherché du travail en vain. Mais qu’elles ont fini par se tourner vers la lessive, qui était la seule option disponible, a-t-elle renchéri. « Si nous ne lavons pas les vêtements, comment allons-nous nourrir nos enfants de bas âge ? Nous n’avons pas d’autres choix. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est mieux que rien et ça nous aide un peu », lâche timidement la jeune mère de famille, avant d’ajouter : « Ce qui nous stresse le plus, c’est que nous vivons au jour le jour, parce qu’avec le nombre de notre famille, ce que nous gagnons n’est pas suffisant pour subvenir à nos besoins ».

« Nos maris n’ont pas de travail non plus, c’est à nous de courir dans tous les sens », déplore Rihanata qui garde l’espoir de pouvoir retourner un jour dans son village d’origine avec ses enfants.

Aïcha Aya, (20 ans), PDI et locataire dans la même cour, elle-aussi était lessiveuse, mais a dû arrêter à cause de son accouchement. Tenant son nourrisson de trois mois en main, la nourrice dit avoir arrêtée la lessive, parce que n’ayant pas quelqu’un pour s’occuper de son bébé, surtout que son époux est absent. Mais la jeune mère peut compter sur sa belle-mère, Habibou Aya, la cinquantaine bien révolue, qui mène de petits commerces pour s’occuper de sa belle-fille en l’absence de l’époux (fils).

Assise devant sa maison « entrer-coucher », dont l’entrée est couverte d’un rideau multicolore faisant office de porte, la belle-mère, tout juste revenue de son commerce décharge sa charrette de ses affaires tout en racontant sa situation : « Ça fait presque deux ans que nous sommes ici, mais c’est compliqué. Comme mon fils n’est pas là, c’est ce que je fais pour qu’on puisse manger et faire nos petites dépenses ». Les doigts pointés sur le restant de ses feuilles et de ses beignets de haricot, Habibou Aya, la mine froissée, se désole du fait qu’elle soit allée même à plusieurs reprises pour se faire enregistrer dans quelques sites autour de Ouagadougou, mais n’a jamais pu le faire et a dû se résigner et chercher à faire quelque chose pour subvenir aux besoins de sa petite famille.

En attendant que leurs cas puissent être pris en compte, ces femmes ne cessent de se battre pour survenir aux besoins de leurs familles.

Yvette Zongo
Lefaso.net

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