Accueil > Actualités > Dr Jocelyne Vokouma : « Au Burkina, les femmes s’illustrent le plus dans (...)

Dr Jocelyne Vokouma : « Au Burkina, les femmes s’illustrent le plus dans les domaines des sciences sociales et humaines et des sciences médicales »

lundi 8 mars 2021

Anthropologue et chercheure à l’Institut des Sciences des Sociétés, Jocelyne Vokouma a également occupé des postes à responsabilités dans l’administration burkinabè : secrétaire général du ministère en charge de la Promotion de la femme, Gouverneur de régions... Dans cet entretien qu’elle accorde à Lefaso.net à l’occasion du 8 mars 2021, elle fait le point de la contribution de la femme burkinabè dans le domaine des sciences.

Lefaso.net : Dans quelles branches des sciences retrouve-t-on le plus de femmes au Burkina Faso ?

Dr Jocelyne Vokouma : Selon la nomenclature consignée dans un rapport de l’UNESCO sur la science, au Burkina Faso (données de 2010), les femmes sont plus nombreuses dans les sciences sociales et humaines où elles constituent une proportion de 35,9%, tandis que de façon décroissante, elles représentent respectivement 27,7% en sciences médicales, 17,4% en agronomie, 11,6% en ingénierie et technologies et 10,1% en sciences naturelles.

Quelles sont les domaines dans lesquels elles s’illustrent le plus dans notre pays ?

En me référant aux données quantitatives de l’UNESCO citées plus haut, elles s’illustrent le plus dans les domaines des sciences sociales et humaines (plus de 35%) et des sciences médicales (plus de 25%).

Soixante ans après les indépendances, peut-on dire que les sciences restent encore le bastion des hommes ?

Non ! En réalité, les sciences n’ont jamais été le bastion des hommes. Car il a fallu démonter progressivement les pseudo-barrières établies sciemment, afin de les éloigner des femmes pour que la société sous la dynamique d’une révolution des mentalités comprenne que les filles comme les garçons disposent d’aptitudes pour exceller en science. Il suffit tout simplement de leur donner les mêmes opportunités et les mettre dans les mêmes conditions de sécurité psychologique et physique pour étudier.

En effet, si pendant que l’esprit du garçon est stable pour apprendre, la fille entretient dans le sien une peur constante qu’elle peut être conduite au couteau ou à la lame de l’excision à tout moment, elle peut être mise devant le fait accompli d’un mariage sans son consentement, etc., vous comprenez que le foyer de l’intelligence humaine n’est pas secoué, ni déstabilisé de la même manière selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon dans nos sociétés. C’est vers ces directions, qu’il faut regarder l’essentiel de ce qui limite fondamentalement le potentiel des filles et des femmes dans notre pays. Autrement, tout est possible pour les deux sexes dans le domaine des sciences. Le tout est une question de volonté et d’opportunité.

Si la situation est déséquilibrée entre hommes et femmes, qu’est-ce qui d’après vous peut l’expliquer ?

Ce sont les discriminations sociales. Et il faut que les gardiens des traditions – hommes comme femmes – fassent de plus en plus d’efforts en arrêtant de perpétuer les germes de ces discriminations qui empoisonnent de plus en plus l’épanouissement quotidien des femmes et des filles dans un monde en mouvements irréversibles, pendant qu’on leur demande de continuer à vivre comme leur arrière-grand-mères, grand-mères et mères, etc. La preuve est que de nos jours, si par la force d’un combat bien réussi, l’accès à l’éducation des filles a fini par être admis, leur maintien à l’école est encore l’objet d’un difficile plaidoyer qui n’a pas encore produit des résultats définitifs. Donc, beaucoup d’efforts restent encore à faire pour convaincre que c’est en laissant la fille finir son cursus qu’elle a des chances de s’en sortir dans la vie. La tâche ne sera pas facile, mais nous ne perdons pas du tout espoir.

Est-ce on peut dire que la situation s’est améliorée ces derniers temps au Burkina Faso ?

Oui ! Sans hésitation aucune, on peut très bien l’affirmer. Car, en dépit de tout ce qui ne leur facilite pas la tâche au quotidien, nous sommes rassurée des effets d’une prise de conscience relative à la nécessité d’envoyer les filles et les garçons à l’école au même titre. Les orientations scolaires et universitaires ne souffrent pratiquement plus de formes patentes de discriminations. Et cela est une très bonne chose. Le professeur d’une discipline scientifique au niveau scolaire qui donne ses cours suivant une approche sexiste court un gros risque de nos jours. Ici, je fais allusion aux enseignants de certaines matières scientifiques qui préféraient interroger par exemple plus les garçons que les filles en classe.

Autrefois, il arrivait que certains ne supportent pas que les filles dominent les garçons dans leur matière et développent des stratégies personnelles pour influencer cette tendance. Nous avons entendu des témoignages de filles sur de telles pratiques dans la passé. Ce sont des comportements vraiment dépassés aujourd’hui qui appellent à la sagesse des uns et des autres. C’est ce que j’appelle un contexte favorable à l’épanouissement scientifiques des filles en milieu scolaire. Et c’est tout le sens de notre espoir d’un lendemain encore meilleur.

Quelle potion pour faire évoluer les choses ?

En terme de parallélisme de forme dans la famille, la mère est le premier modèle de la fille tout comme le père représente un modèle de référence pour le garçon. Même analphabète, lettrée ou illettrée, la mère reste le modèle de sa fille. D’où la nécessité pour toute maman de ne pas perdre cette réalité de vue. Une mère qui travaille très bien dans la vie d’une manière générale va forcément influencer positivement ses enfants, mais les filles de façon très particulière. Ainsi, c’est à travers les encouragements, les motivations de toutes sortes qu’on donnera le minimum nécessaire à la fille pour d’abord vivre sans complexe devant un garçon. Ce qui va lui permettre de nourrir positivement son quotidien de la possibilité de pouvoir faire ce qu’elle envisage de bien avec un impact positif sur la société.

L’esprit de bâtisseur se construit progressivement ainsi. C’est en rassurant l’enfant dans la nécessité d’une confiance en lui, qu’il développera en lui l’audace de faire de grandes choses dans la vie. En tant que parents, nous devons bannir de notre jargon quotidien tout ce qui est en lien avec des propos discriminatoires. De notre positivité, dépendra la capacité de la fille à transcender les discours qui nivèlent ses potentialités au quotidien. En matière scientifique, les filles et les femmes ont besoin d’une force intérieure pour foncer et s’en sortir. Car, sans résister à la société et à ses entraves, elles ne pourront pas choisir des filières scientifiques à fortiori y rester.

Il y en a qui disent qu’il y a moins de femmes dans les sciences parce qu’elles sont moins intéressées … Que leur répondez – vous ?

Cela n’est pas du tout vrai. Il faut arrêter de les traumatiser dès le jeune âge par l’excision, le viol, le rapt, le mariage forcé, le sororat, etc., pour voir si elles ne vont pas exceller là où tout le monde les crois toujours incapables ou médiocres, hélas ! C’est en créant les conditions du succès, qu’une vie peut se transformer à tout moment par pur vouloir. Dans l’accès volontaire et non canalisé des filles aux filières scientifiques, leur élan est plus freiné par la peur de tout ce qu’elles doivent affronter comme entraves au quotidien que le potentiel de leurs capacités.

Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontée dans votre parcours ?

Parmi les défis auxquels j’ai été confrontée, je me souviens de ce qui suit :

  Chercher encore des diplômes pendant que j’étais déjà soit disant diplômée : « toi aussi, tu cherches quoi encore ? Même avec le Bac, on peut très bien gagner sa vie. Tu exagères ! ». Aujourd’hui, quand je croise ceux et surtout celles qui me parlaient comme ça (et qui l’auraient sans doute oublié), elles me disent : « félicitations ! je t’admire. Tu es vraiment une battante. Quand plus jeune on t’observait, on savait que tu allais réussir. » Mais hier, c’était les mêmes qui cherchaient à me niveler par tous les moyens. La solution que j’ai trouvée en son temps c’était d’éviter ce genre de personne sur mon chemin et avancer en toute sérénité. Même de nos jours, lorsque j’informe mon entourage que je prépare ma candidature au CAMES, on me rétorque : « toi aussi, c’est quel diplôme que tu cherches encore ? Tu n’es pas fatiguée à présent ? » Je ris aux grands éclats comme d’habitude.

  Parler ouvertement de mes ambitions et projets, cela n’est pas toujours bien pris. Il y aura toujours quelqu’un pour te dissuader et te décourager tout en sachant que tu ne fais rien de mauvais. Quand je l’ai compris à force de leur persistance, je me fermais par moment et par endroit, afin que la négativité extérieure ne m’empêche d’évoluer.

  Exceller dans tout ce que je faisais. Beaucoup de gens ne supportent pas de voir autrui évoluer sans échec. Lorsque vous évoluez convenablement, vous vous attirer gratuitement de l’adversité sans raison objective.

  L’ambition d’une fille était très mal vue par la société qui mettait tout sur son chemin, afin qu’elle abdique d’étudier pour aller loin dans la vie.

L’acuité de ces défis s’est avérée venimeuse entre l’âge de 20 à 30 ans. Mais je n’ai jamais cédé ! Car mes parents n’en faisaient aucun problème. Mais c’est du dehors, que ce n’était pas du tout facile. Mais comme mes parents ont vécu pour leurs enfants, le peu que je leur dois en retour, c’est de vivre pour eux. Ce qu’ils attendaient de tout enfant, c’était de bien travailler à l’école, au lycée/collège, à l’Université. Et c’est ce que je faisais. (Rires). Mon bonheur était de voir mes parents heureux par tout ce que je fais et qui ne les souillait pas. Un jour, dans un élan de fierté, ma mère m’a dit : « chez les Moosé, il y a un proverbe qui dit ceci : « Wena tchit tu f biig yiir fo ! », c’est – à dire : « que Dieu fasse que ton enfant te dépasse ! ». Et ensemble nous avons éclaté de rires.

Puisque je venais de comprendre ce qu’elle voulait dire à travers le proverbe référencé et elle aussi percevait aisément ce le sens de ce que je faisais. Mon père, c’était pareil : de la fierté. Etc. Etc. Mes choix et mes options étant d’abord de ma pure responsabilité que de ceux qui intoxiquent ma trajectoire de vie, le secret pour transcender tous ces obstacles qui sont au-dessus de l’amour de vos parents, c’est le silence absolu. Même si tu aimes parler, les percussions de ces obstacles quotidiens vont t’obliger à te taire pour t’en sortir. Mais on n’abandonne jamais ce qu’on fait de bien. Car même celui qui a essayé de t’empêcher finira par te féliciter d’avoir tenu bon. (Rires)

Avez-vous souffert de stéréotypes dans votre parcours ?

Non ! Vous savez, pour aller loin dans les études pour une fille, cela demande un peu de retrait. Ainsi, pour ce besoin de solitude, afin de se concentrer véritablement sur mes études, je ne vivais vraiment pas au milieu d’un grand monde tout au long de ma vie scolaire et universitaire. Ce sont des habitudes qui sont pratiquement restées. Quand j’ai trop à faire, je dois m’enfermer pour rester un peu isolée. Cela est source d’inspiration, surtout loin du bruit. Ainsi, dans une journée, j’avais des trajets bien déterminés.

J’ai entendu des stéréotypes, mais je n’en ai pas souffert. Parce que entre celles qui les proclamaient et ce que je faisais, il n’y avait pas de relation. Ce qui faisait que je considérais ces manières de faire comme de l’immixtion sans fondement. Donc, n’étant pas toujours mêlée au monde, je n’ai pas été confrontée aux stéréotypes en tant que tel. Cette posture m’a vraiment fortifié pour l’avenir et me préparer à ne savoir répondre ou répliquer à une intoxication psychologique que si nécessaire.

Que répondez-vous à ceux qui pensent qu’une femme avec des gros diplômes, un grand poste de responsabilité privilégie forcément son travail au détriment de sa famille ?

Ce n’est pas du tout vrai. Habituellement, les gens tiennent ce genre de discours dans l’opinion, afin d’entretenir une mauvaise image des femmes diplômées et responsabilisée. Les partisans de ce type de discours s’évertuent à ce que la société n’accepte jamais ces femmes comme des modèles. Or qu’on le veuille ou non, la société a besoin de ce modèle de femme pour s’éclore. Nous n’avons même pas le choix. Il ne s’agit pas d’une question d’humeur. Que ceux qui ne supportent pas l’ascension des femmes d’un certain niveau arrêtent cette manière d’intoxiquer, car ces femmes, même mal vues, sont des parties intégrantes de toute société humaine.

Ce n’est pas facile d’être une femme et ce n’est pas du tout une chose simple d’être une diplômée et une responsable dans les sociétés africaines. Et une diplômée et /ou une responsable sont des femmes comme les autres. La tendance à privilégier le travail au détriment de la famille est une autre forme d’étiquette de plus en plus collée aux femmes juste pour le plaisir de les discréditer. Je ne vois pas cette femme qui choisira le travail au détriment de la famille en temps normal.

Car lorsque le travail te bouffe l’essentiel de tes journées, c’est en famille que tu trouves ta raison d’être. Tout comme chez les hommes, toutes les femmes ne sont pas les mêmes. Généralement, c’est quand la vie en famille est déjà confrontée à des crises latentes que ce type de situation se produit sur un fond de déception ou de désolation. Mais là aussi l’expérience montre que cela n’est pas la solution.

En ce qui concerne la vie familiale, son entretien n’a rien à voir avec le fait d’être diplômée et / ou responsabilisée. L’aptitude à une bonne gouvernance de la vie familiale dépend de l’éducation que la femme a reçue. En effet, plus longtemps elle reste étudiante, plus longtemps, la femme fera le ménage et s’occupera des enfants, parce que son statut d’apprenant lui laisse plus de temps dans une certaine mesure. En outre, à force d’assister sa mère dans les tâches domestiques, la plupart des femmes sont bien conscientes de leur place et de leur rôle dans la société. Elles n’auront vraiment pas besoin qu’on le leur rappelle. Le reste est une question d’organisation personnelle.

Comment inoculer aux filles le virus de la science et la recherche scientifique ?

Par la formation et la sensibilisation. En la matière, les Associations des Femmes Scientifiques du Burkina Faso organisent régulièrement des camps scientifiques qui regroupent des filles des collèges et lycées évoluant dans les filières scientifiques, afin de les outiller davantage et puis, qu’elles n’abandonnent pas ces options pour faire autres choses plus tard. Ces types d’initiatives doivent être vulgarisés. À l’occasion de ces camps de formation, des femmes modèles dans divers domaines leur sont présentées, afin que son parcours les inspire. En outre, avec la création des lycées scientifique la dynamique de promotion des filles dans les filières scientifiques a des chances d’être boostée.

Dr. Jocelyne VOKOUMA
Anthropologue – Chercheure
Département Socio – Économie et Anthropologie du Développement (DSEAD)
Institut des Sciences des Sociétés (INSS)
Centre Nationale de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
lyne.vokouma@gamail.com

  • Poster un message :
  • modération a priori

    Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

    Qui êtes-vous ?
    Votre message

    Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Vidėo de la semaine

Portrait

Entrepreneuriat féminin : Sandrine Ouoba, la reine des purées pour bébés

Titulaire d’un master en économie, Sandrine Ouoba/Ouédraogo est à la tête de « Doux Goûts », une unité dédiée à la transformation des fruits et (...)
FOCUS


LeFaso.net © 2003-2014 Yenenga ne saurait être tenu responsable des contenus "articles" provenant des sites externes partenaires.
Droits de reproduction et de diffusion réservés