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Tania Tindano ou le miracle de l’éducation inclusive

dimanche 7 mars 2021

Etudiante en journalisme à Ouagadougou, Tania Tindano n’a jamais accepté que son handicap visuel puisse être un frein à son épanouissement personnel. Pour elle au contraire, cette infirmité est une raison suffisante pour se battre afin de prouver que l’absence de la vue ne doit pas constituer une barrière à l’épanouissement d’une personne. Cette pensionnaire de l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC) est un témoignage des bienfaits de l’éducation inclusive. Portrait.

Native du village de Boungou-Natimsa, dans la commune de Mané, province de la Gnagna, Tania Tindano, « Tani » pour les intimes, n’a jusque-là pas eu l’occasion de voir comment brille le soleil. Elle est née avec une déficience au niveau des yeux, ce qui ne lui permet pas de voir. Mais cela n’a jamais constitué un obstacle à sa réussite scolaire. Certes, tout n’a pas toujours été rose pour elle, mais elle est déterminée à prouver à son entourage que les handicapés visuels pouvaient aussi réaliser le même parcours scolaire que les autres. « Je refuse d’accepter mon état comme un problème. Il est vrai qu’on voit une barrière physique, mais ce n’est pas un problème pour moi en tant que tel, car j’arrive à étudier comme les autres », confie-t-elle.

Il lui a fallu faire face à d’énormes difficultés pour être ce qu’elle est aujourd’hui : une étudiante en journalisme de niveau 2 à l’ISTIC. Tout le long de son parcours scolaire, elle a dû affronter le scepticisme de ses proches, répondre aux multiples interrogations de ses condisciples sur ses outils d’apprentissage et même essuyer le refus de certains enseignants qui ne voulaient pas d’elle dans leurs effectifs.

Malgré tout, notre « héroïne » a su prouver que, même s’il lui manquait la vue, elle était assez intelligente pour fréquenter les mêmes classes que les autres. « J’ai toujours eu de bons résultats scolaires. Ce qui m’a toujours stimulé et surtout encouragé mes professeurs dont certains hésitaient au début à m’accompagner. Je pense que cela ouvre également la voie pour d’autres handicapés, qui pourront être acceptés avec moins de réticences », dit-elle.

Détermination

Quatrième enfant d’une famille polygame qui compte 9 enfants, Tani est la seule qui a eu la chance d’aller à l’école. Orpheline de père, elle a été élevée par sa grand-mère maternelle. Grâce au petit frère de sa maman, elle intègre le centre pour handicapés de Madiaga, dans la province de la Tapoa. La collaboration entre ce centre et le centre médical de Piéla lui a permis d’aller à l’école en 2006. Dans cette école, elle a toujours tenu le premier rang, ce qui a incité ses enseignants à la présenter à l’examen du CEP pendant qu’elle faisait le CE2, avec les autres élèves qui avaient fait les six années d’études requises.

C’est au collège privé Evangélique Hamtandil, situé à quelques mètres du centre, qu’elle ira fréquenter ensuite le premier cycle du secondaire. Ce sera aussi le début de ses difficultés avec certains enseignants qui estimaient qu’il était plus judicieux de créer des écoles spécifiques pour les malvoyants, au lieu de les accueillir dans les mêmes classes que les autres.

Mais très vite, dès la classe de 6e, Tani démontre qu’elle mérite d’être présente dans ce collège, au même titre que ses camarades "normaux". Sur un effectif de 92 élèves, elle se hisse au premier rang avec 18,86 de moyenne sur 20. Elle sera ensuite accueillie au lycée public de Madiaga situé à trois kilomètres de son ancien centre, pour le second cycle. C’est là-bas qu’elle décroche le baccalauréat en 2019. Là aussi, Tani a dû faire face à la réticence de certains examinateurs, surpris de la voir passer l’examen avec les autres élèves.

Le bac en poche, elle fait ses valises pour Ouagadougou. Mais une fois dans la capitale, quelle ne fut pas sa surprise quand elle se rend compte que, même dans une grande ville, plusieurs personnes -dont des acteurs de l’éducation- ignoraient ce qu’était l’écriture braille.

On lui demandait sans cesse où est-ce qu’elle avait étudié pour arriver jusqu’en terminale. « Je me disais que c’était seulement en province que les gens ne connaissent pas le braille, et qu’à Ouagadougou les gens devaient quand même savoir, puisque cette écriture a commencé dans la capitale avant d’être enseignée dans les provinces », se remémore-t-elle, tout en concluant qu’au Burkina, nombreux sont ceux qui ignorent que les handicapés visuels peuvent étudier comme les autres.

Le handicap visuel n’est pas une fatalité

C’est d’ailleurs ce qui a dirigé son choix vers des études de journalisme. En plus d’avoir beaucoup appris à travers les émissions radiophoniques et au regard des difficultés rencontrées durant ses études primaires et secondaires, Tani veut sensibiliser le grand public et prouver, à travers sa présence dans un média, qu’il est possible d’apprendre et de servir son pays tout en étant un handicapé visuel. Et elle est prête à encourager ceux qui hésitent toujours à accompagner les enfants souffrant d’un handicap.

Et elle est bien partie pour tenir ce pari. Ponctuelle et studieuse, Tania Tindano est parvenue à bien s’intégrer au niveau de l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication où elle est arrivée le 26 novembre 2020. Et ce n’est pas le délégué de sa promotion, Arouna Nacro, qui dira le contraire. A l’en croire, Tani entretient de parfaites relations avec les autres membres de la classe ainsi que les professeurs. Jusque-là, aucun enseignant ne se plaint d’elle. Au contraire, tous apprécient ses performances. « A travers ses notes, tout le monde est unanime que c’est quelqu’un qui peut réussir dans le domaine du journalisme », assure Arouna Nacro.

Du côté de l’administration, aucun souci à se faire. L’intégration de Tani malgré son handicap parmi les effectifs n’est pas un regret, mais plutôt une satisfaction. C’est ce que confie le secrétaire général de l’ISTIC, Arsène Evariste Kaboré. Il explique que, pour son inscription, Tani a été accompagnée par le centre de Madiaga. Après des échanges avec les responsables de l’institut, aucune objection n’a été enregistrée pour son intégration.

L’institut a plutôt pris des dispositions avec des structures partenaires du centre de Madiaga, comme l’Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (ABPAM), pour pouvoir l’accueillir et lui permettre d’apprendre. « Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous sommes très satisfaits de l’intégration de Tani au sein de l’ISTIC. Je peux même ajouter que ses performances sont très encourageantes », souligne M. Kaboré.

Intelligence exceptionnelle

En ce qui concerne les cours, elle écoute et elle écrit en braille. Quand vient la période des évaluations, l’ISTIC transmet les sujets à l’avance à l’ABPAM pour qu’elle les traduise en braille. Et au moment de la composition on les lui remet et elle compose en temps réel avec ses camarades. Et la personne chargée de traduire reprend en français ce que Tani a écrit en braille pour correction. Et c’est ainsi que ça marche pour toutes les compositions. Pour les cours en informatique, Tani dispose d’un ordinateur muni d’une synthèse vocale qui lui permet de suivre.

Pour Arsène Evariste Kaboré, Tani est un exemple parce qu’en matière de compréhension des cours et de restitution de ce qu’elle a appris, elle est parmi les meilleurs de sa classe. C’est la preuve que l’éducation inclusive est nécessaire pour permettre aux victimes de handicap d’être utiles à elles-mêmes ainsi qu’à la société.

Tania Tindano trouve que les gens doivent comprendre que la vue ou la mobilité qui manque à une personne n’est qu’une partie infirme de l’être humain. Il ne faut pas permettre que ce petit élément puisse compromettre son avenir. Par contre, il faut chercher des solutions pour qu’on puisse mettre en valeur cette grande partie au détriment de ce qui manque. « Dans ce sens, je lance vraiment un plaidoyer en faveur des enfants vivant avec un handicap », a-t-elle plaidé.

Judith SANOU

Lefaso.net

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