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Portrait de femme : Jeanne Koulidiaty, père et mère « sans enfant »

vendredi 8 mars 2019

Une vie utile, sans artifice ni calcul, au service des plus vulnérables. Ainsi, se résume l’histoire de Jeanne Koulidiaty, cette dame qui redonne espoir aux jeunes filles et orphelins chez elle, dans la province de la Tapoa. Dans le cadre de la journée internationale du 8 Mars, nous sommes allés à la rencontre de ce « refuge » caché dans l’Est du Burkina profond. Découverte.

Il est des femmes que le travail n’épouvante guère et dont le cœur ne prend aucune ride. Au diable le sablier ! A Diapaga, à environ 450 kilomètres de Ouagadougou, la capitale burkinabè, Jeanne Koulidiaty, 53 ans, loin des crépitements de flashs, est une mère pour beaucoup d’enfants en difficultés qu’elle ne connait ni d’Adam ni d’Eve. Environ une quinzaine. Ses proches ne tarissent pas de qualificatifs pour définir cette amazone qui accueille à bras ouverts les orphelins et victimes de mariage forcé et leur donne une nouvelle chance : travailleuse, joviale, directe, sociable et surtout humaine.

Humaine au point qu’il est difficile de s’imaginer, en rentrant dans sa cour pleine de garnements, que les dieux de la fertilité ne l’ont jamais visitée. « Je n’ai jamais eu d’enfants. Ce n’est pas un choix. J’étais malade. Tant que je ne le dis pas, personne ne peut le savoir », nous dit-elle le regard profond, avec un brin de sourire au coin des lèvres.

Mère malgré elle

Parmi ces jeunes qui ont retrouvé l’envie de vivre grâce à notre amazone, il y a cette fille mariée de force à l’âge de 13 ans. C’était il y a quatre ans de cela. « Un mois après son arrivée chez moi, ses parents ont débarqué avec son époux. Ils étaient venus la chercher. La fille leur a dit de s’en aller. Sa mère toute confuse n’en revenait pas. Elle lui a rappelé que c’est elle qui l’a mise au monde.

La fille a répondu ‘’non’’ et a répondu en disant que ‘’si tu m’avais mise au monde, tu aurais pris ma défense quand mon mari me battait. Mais tu ne l’as pas fait. Aujourd’hui, je ne te reconnais plus. Va- t’en ! ». Jeanne Koulidiaty se souvient de cet épisode qui l’a ébranlée. Mais à force de courage et de persévérance, la jeune fille suit aujourd’hui une formation en couture et fait désormais la fierté de ses parents.

Son défunt père, sa source d’inspiration

Lorsqu’une adolescente est en difficultés, Jeanne Koulidiaty prend toujours le soin d’avertir les services de l’action sociale avant de l’héberger. Cet engagement pour les causes perdues, Jeanne le tient de son père, Georges Koulidiaty, vétérinaire de profession et polygame. « Le vieux, c’était mon pote sûr. Il m’aimait bien. Il était ma force », nous confie l’amazone qui a dû abandonner les bancs de l’école en classe de 5e, en 1983, pour rester au chevet de sa mère souffrante.

« Quand ma mère est tombée malade, je ne pouvais pas supporter qu’elle ne puisse pas faire la cuisine et soit la risée de ses quatre autres coépouses. J’ai donc arrêté l’école. Mon papa m’avait remis mes frais de scolarité pour mon inscription mais je les ai utilisés pour acheter du sucre et plein d’autres choses pour vendre le zoom koom (boisson de petit mil), afin de me faire quelques économies », raconte celle qui pratique également l’élevage des cochons, tout comme son père avant elle.

Si Jeanne arrive à apporter son soutien aux personnes vulnérables, c’est aussi grâce à ses talents de cordon bleu qui séduisent les papilles des habitants, dans le restaurant qu’elle exploite dans l’enceinte de l’ex-centre populaire des loisirs. Elle y emploie une dizaine de jeunes.

« Souvent, je suis en désaccord avec mon frère. Il ne comprend pas que je puisse venir en aide à tant de personnes dans ce restaurant. Quand quelqu’un expose son problème, si j’ai de l’argent, je lui en donne. Même s’il m’arrive souvent de refuser sur- le -champ, je rappelle aussitôt la personne pour lui remettre l’argent. Il m’arrive de prendre de l’argent aussi avec ma mère pour le remettre aux gens ».

Pour l’accès des femmes à la terre

Femme leader, Jeanne Koulidiaty en est assurément une. Déléguée adjointe des femmes CDR sous la révolution, elle a par ailleurs géré l’huile Cathwell dans toute la Tapoa. Qui l’eût cru ! Jeanne a aussi fait ses armes en politique aux côtés de son ex-mari, Ouoba Gérard qui fut député sous la bannière de l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail).

Elle a été élue conseiller municipal pendant deux mandats successifs avant de s’éloigner de la chose politique pour se consacrer à ses activités de développement. Présidente de la coordination provinciale des femmes de la Tapoa, elle s’investit corps et âme pour une autonomisation de la femme rurale. Fortement impliquée dans le projet « Un monde sans faim – les droits fonciers de la femme en Afrique de l’Ouest » de la Fondation Konrad Adenauer, elle organise des séances de sensibilisation à travers des théâtres fora.

Sortir de l’ombre

Dans le cadre des activités commémoratives de la journée internationale de la femme, célébrée chaque 8 mars, les femmes de la Tapoa conduites par Jeanne Koulidiaty ont prévu une opération de salubrité à la mairie, au Haut-commissariat, à la direction provinciale de l’action sociale et à la maison de la femme.

Elles prévoient également une visite des malades au CMA de Diapaga et à la prison civile où il sera fait des dons de détergent, de savon et de javel. « Mon quotidien se résume au travail. Rien que le travail. La femme de la Tapoa a souvent honte ou peur de se battre, de prendre la parole et d’oser. Mais, nous allons nous battre pour que cela change et pour qu’elle sorte de l’ombre ».

Herman Frédéric Bassolé
Lefaso.net

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