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Germaine Pitroipa, la dame au caractère de feu !

mercredi 13 mai 2015

Professeure de Français, syndicaliste, femme politique, diplomate, portrait d’une militante dans l’âme

Les Sankaristes organisent les 16-17 mai à Ouagadougou, leur « Convention pour le renouveau sankariste », une grande messe dont l’objectif est de rassembler le plus large possible toutes les sensibilités politiques se réclamant de l’idéal du défunt président. Ont-ils enfin surmonté leurs divergences pour créer une famille politique unie dans la perspective des prochaines échéances ? « Il n’y a pas de raison que ça ne se fasse pas », répond optimiste, Germaine Pitroipa, ancienne haut commissaire de la province du Kouritenga sous la révolution.
Représentante en France du l’Unir/Ps, devenue Front sankariste, celle qui est restée proche de Thomas Sankara met en garde « tous ceux qui vont se mettre en travers de ce mouvement, car ils seront combattus comme des adversaires. Je ne ferai pas de cadeau à qui que ce soit ».
A 63 ans, mère de quatre enfants et grand-mère de cinq petits enfants, Germaine Pitroipa est restée fidèle à sa réputation de femme de caractère, celle qui appelle un chat un chat et qui exècre les bruits de couloirs. On se souvient de cette « CDR de Paris », défendant fermement devant le président du Conseil national de la Révolution, le droit des femmes révolutionnaires de se maquiller sans que cela n’enlève rien à leur engagement.
Faire son portrait, c’est revisiter un pan entier de l’histoire du mouvement étudiant en France et au Burkina, et retracer une partie du parcours de nombreuses figures de la vie politique burkinabè, dont certains sont encore en activité. C’est aussi découvrir à quel point l’avènement de la révolution d’août 1983 était pour les uns l’aboutissement d’une lutte menée durant de longues années parfois dans la clandestinité, et pour les autres, le début du commencement d’une vraie politique d’indépendance nationale qui prendrait enfin en compte les aspirations des masses populaires. D’où le désarroi dans lequel sont tombés de nombreux révolutionnaires après l’assassinat de Thomas Snakara le 15 octobre 1987. Les évènements de cet après-midi funeste n’ont pour autant pas éteint la flamme révolutionnaire chez certains compagnons du leader de la révolution, dont Germaine Pitroipa, qui ont continué la lutte en l’adaptant au nouveau contexte postrévolutionnaire.
En poste à l’ambassade du Burkina à Paris en tant que conseillère culturelle quand survient le coup d’Etat, elle refuse de répondre à une convocation des nouvelles autorités pour « consultation ». Quelques mois après, elle considérée comme démissionnaire et perd son statut de fonctionnaire de l’Etat burkinabè. Enseignant vacataire dans un premier temps, elle est aujourd’hui infirmière dans la région parisienne pour encore quelque temps. Militante politique dans l’âme, elle compte bien retourner au pays et contribuer à nouveau à l’éveil politique des jeunes générations.
C’est en 1952 qu’elle nait à Fada N’gourma, d’une famille de bouchers, les Nassouri. Mais c’est à Tikaré, dans le Yatenga qu’elle a grandi, dès l’âge de cinq ans, aux côtés de son cousin, Hamidou Ouoba, « un instituteur mort dans des circonstances troubles en 1968 alors qu’il était trésorier du Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta (Sneahv). En 1961, elle suit son cousin à Ouagadougou où il vient d’être affecté. Dans la capitale, parmi ses camarades de classe, il y a une certaine Adèle Ouédraogo, future ministre du Budget sous la révolution. Admise au certificat d’études primaires, elle devra cependant redoubler le CM2 « parce que je n’avais pas la taille minium requise pour aller au collège ». L’année suivante, on lui refuse l’inscription au Cour normal (Aujourd’hui Lycée Nelson Mandela) « parce qu’on pensait que j’étais la fille d’un instituteur, alors qu’on n’acceptait que les filles de paysans ». Elle habite à Dapoya et va au Zinda tous les jours à pieds, « un moment de liberté pour nous autres qui n’avons pas le loisir de sortir ». Son cousin parvient à convaincre la patronne du Cour Normal, Jacqueline Ki-Zerbo, que Germaine n’est pas sa fille, et que ses parents sont de conditions modestes. Elle obtient alors une bourse et intègre cet établissement de jeunes filles, le seul à l’époque dirigé par une femme. « Mme Ki-Zerbo m’a marquée, car elle m’a appris à être une femme d’intérieur et une rebelle disciplinée », se souvient-elle. En 1972, nouvellement bachelière, son frère l’emmène à un bal de la Croix-Rouge à Fada, et la présente à Amirou Thiombiano, le fondateur du Parti africain de l’indépendance (PAI). « Que vas-tu faire comme études ? », lui demande ce dernier ? « Des études de Lettres », répond t-elle. « Non, réplique Thiombiano. Il faut faire des études d’économie pour comprendre comment et pourquoi l’impérialisme nous domine ». A la rentrée, alors que les orientations sont déjà faites et publiées, Germaine Pitroipa explique qu’elle souhaite faire des études de droit à Dakar. Face au refus de la direction de l’orientation et des bourses, avec d’autres camarades qui contestaient également leur orientation, ils décident de faire un setting. Au bout d’une semaine, ils obtiennent gain de cause, et en 1973, Germaine Pitroipa s’envole pour Dakar où « les filles Burkinabè étaient les plus nombreux après les Biafraises ». Elle y rencontre celui qui deviendra son époux. En fin d’année, elle a la moyenne pour passer en deuxième année, mais le professeur de droit constitutionnel décide de faire « redoubler certains étudiants qui sont venus en dilettante ». Germaine Pitroipa proteste et préfère rentrer au pays. Manque de chance, l’ouverture de la première année de droit qui avait été prévue pour la rentrée 1973-1974 a été reportée, les professeurs français qui devaient assurer les cours n’étant pas arrivés. Elle s’inscrit alors en 2e année de Lettres. En 1974, des étudiants jugés trop turbulents sont expulsés de France, dont Etienne Traoré, aujourd’hui professeur de philosophie à l’université de Ouaga. A Abidjan, le président Houphouët-Boigny a également renvoyé des étudiants voltaïques qu’il accusait de vouloir importer le communisme chez lui. Alors, quand quelques semaines plus tard, il vient participer au sommet des chefs d’Etats membres du Conseil de l’Entente qui se tient à Ouaga, les militants de l’Union générale des étudiants voltaïques s’en souviennent et l’accueillent en lui jetant des tomates. Germaine Pitroipa y participe. Dans la foulée, elle adhère à l’Association des étudiants voltaïques, devient membre du bureau en tant que trésorière jusqu’à son départ en France en 1975, munie d’une bourse pour préparer une maitrise à l’université Paris 12. Les choses ne se passent pas comme prévu. Au moment de soutenir, son maitre de mémoire n’est pas là, et n’ayant pas soutenu, elle perd la bourse comme c’était la règle. Fort heureusement, son mari est aussi à Paris, inscrit Maths Sup. A cette époque, l’expérience communiste en cours en Union soviétique séduit pas mal d’étudiants africains. La résidence des étudiants d’Afrique de l’ouest, sise rue Poniatowski dans le 12e arrondissement de Paris, est le lieu d’un bouillonnement intellectuel et politique intense. S’inspirant de ce qui se passe chez le grand frère russe, l’Ugev décide de créer des Kolkhoze, cette gestion commune des moyens de production mise en place en Union soviétique. « Notre couple a ouvert le premier kolkhoze en 1975-76 parce qu’ayant des enfants, nous avons eu droit à un appartement. L’idée du kolkhoze était de permettre à ceux qui n’avaient pas de bourse d’avoir un ou deux repas par jour. Mon mari avait la bourse et travaillait et moi, je faisais le ménage », se rappelle, dans un éclat de rire, Germaine Pitroipa. Derrière cette idée généreuse, elle y voit cependant « un truc presque carcéral et attend d’en débattre un jour avec les gens du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) », un parti clandestin mais très actif dans les syndicats et autres mouvements de la société civile. Elle ne décolère toujours pas contre « ces gens qui menaient des débats tous les jours jusqu’à 4 heures du matin sur des sujets parfois futiles, comme par exemple me reprocher de donner du lait à ma fille qui n’avait que trois ans, sous prétexte que c’est une habitude petite bourgeoise », ou de « sermonner Valère Somé parce qu’il a fait des compliments à une fille en disant qu’elle était belle ! ».
En 1978, l’Ugev est en proie à des débats sur la marinière de mener la lutte révolutionnaire. D’un côté, il y avait Basile Guissou et Valère Somé et de l’autre, Jean-Pierre Ouédraogo, secrétaire général de l’Ugev, Oualian, Drissa Traoré, Karim Traoré. Selon elle, les deux premiers, signataires d’une pétition dénommée Mouvement du 21 juin, qui devait être débattue lors du congrès, estimaient que « la révolution au bord de la Seine ou de la Terranga, ça ne peut plus continuer comme ça, et qu’il faut aller mener le travail de conscientisation sur le terrain ». L’autre camp récuse la légitimité d’une telle motion et « décrète qu’en débattre, c’est entériner de fait la scission du mouvement ». Ainsi serait né le M21, incarné « par de petits bourgeois aux nerfs fragiles » !
En 1980, munie d’une Maitrise, Germaine Pitroipa rentre au pays et enseigne la littérature au Cour normal. Le syndicat des enseignants du secondaire dans lequel elle milite revendique une augmentation de salaire et une indemnité de 30 000 F. Le gouvernement choisit de répondre par la manière forte, arrête plusieurs militants et les envoie à Dori. « Mais en cours de route, le véhicule tombe en panne et nous, on saute dans un camion qui allait à Ouaga et une fois dans la capitale, on entre dans la clandestinité ». Pour calmer la grogne qui perdure, le gouvernement crée la Société de construction et de gestion immobilière du Burkina (Socogib) pour faciliter l’accès au logement des enseignants par le biais de la location-vente. « C’est ainsi que beaucoup d’entre nous sont devenus propriétaires d’une villa dans la zone du bois, et aujourd’hui, on a rien à craindre d’une opération mains propres », clame cette fidèle sankariste. L’avènement du Conseil militaire pour le redressement national (CMRPN) conduit par Saye Zerbo en 1980 suscite, chez les enseignants des espoirs, vite déçus « puisqu’ils n’ont pas mis fin à la gabegie comme ils l’avaient promis ». Deux ans après son retour au pays, Valère Somé lui suggère de repartir en France rejoindre son époux et ses enfants. « Tu es seule ici, dit-il, et si quelqu’un vient te dire bonjour, même en plein jour, on va dire des médisances sur toi. Donc rejoins ton mari. Nous allons continuer le travail de conscientisation ». En 1982, elle reprend l’avion pour la France. Valère Somé lui fait cette confidence : « Vas-y, j’ai un ami, et il va faire quelque chose, et si ça se passe bien, je te fais nommer ambassadeur en France ». Quand arrive le Conseil de salut du peuple (CSP) en novembre 1982, Germaine Pitroipa se précipite sur son téléphone et appelle son complice. « Non, ce n’est pas mon ami celui-là, attend encore », répond Valère Somé. En juillet 1982, elle revient au pays en vacances. Valère Somé lui présente alors l’ami dont il parle, Thomas Sankara. « C’est lui qui va faire quelque chose. A ton retour, tu écoutes la radio, si tu entends son nom, c’est que c’est bon », lui souffle t-il. La cohabitation entre le président du CSP, Jean-Baptiste Ouédraogo et son premier ministre, Thomas Sankara se passe mal. Le 17 mai 1983, ce dernier est arrêté. Germaine Pitroipa est affolée : « Ne t’inquiète pas, c’est un chat. Il retombe toujours sur ses pates. Et puis, Henri Zongo, Blaise Compaoré et Lingani mènent la résistance », la rassure Valère Somé. Dans les jours qui suivent, les élèves descendent la rue pour exiger la libération.

Le moment tant attendu arrive enfin le 4 août quand elle entend Thomas Sankara proclamer la révolution : « Cette fois-ci, c’est bon, confirme Valère Somé ; tu dois venir pour qu’on mène le combat ». Elle rapplique sans attendre. Le nouvel homme fort la nomme haut commissaire de la province du Kouritenga avec comme chef-lieu, Koupéla, « un coin où il n’y a pas d’eau et de lumière, mais qui me convenait parfaitement. Je faisais comme à Fada, je me lavais avec un seau d’eau ». Deux années d’activités politiques intenses dont elle garde de bons souvenirs, Thomas Sankara ayant décidé de la nommer conseillère culturelle à l’ambassade du Burkina à Paris, histoire de la rapprocher de sa famille. « Thomas et Valère m’ont dit, ça fait deux ans que tu es là. Retourne voir ta famille parce que ton mari et tes enfants ne doivent pas souffrir à cause de la révolution ». Nous sommes en 1986 et l’ambassadeur s’appelle Djibril Barry, devenu par la suite conseiller du président Compaoré jusqu’à l’insurrection populaire d’octobre 2014. Puis surviennent les évènements tragiques du 15 octobre 1987 qu’elle évoque encore avec des trémolos dans la voix : « J’ai quitté le bureau à 17 h et en passant sous un pont, j’entends à la radio, coup d’état au Burkina. Je m’arrête et appelle Paul Thomas Sanou, haut commissaire de Bobo-Dioulasso qui me dit n’avoir rien entendu et promet me rappeler. A la maison, mon mari tente de me rassurer en disant que Thomas a été simplement arrêté. Je lui dis que personne ne peut arrêter Thomas et sortir dire qu’il y a coup d’état. S’il y a coup d’état, c’est qu’il est mort ». Quand elle arrive à l’ambassade le lendemain, « tout le monde se précipite dans mon bureau pour me présenter des condoléances ». Ecœurée, Germaine Pitroipa explose : « La mort de Thomas Sankara ne concerne donc que moi seule, sachant qu’il n’y a aucun diplôme pour être affecté à l’ambassade ? », hurle t-elle. L’ambassadeur Barry convoque une réunion et informe le personnel qu’il vient d’avoir Jacques Foccart, (l’homme des coups fourrés en Afrique sous De Gaulle jusqu’à Jacques Chirac), qui lui a dit que Thomas Sankara est mort. Réplique courroucée de Germaine Pitroipa : « Vous, ambassadeur d’un Etat indépendant, c’est Foccart qui vous informe que celui que vous représentez est mort ? ». Un matin, l’ambassadeur lui tend un fax la convoquant au pays pour consultation. Curieusement, le document porte la signature de Thomas Sankara. « J’ai encore le fax qui est un faux avec moi, et il faudra que Barry m’explique un jour comment il l’a eu ». Ses camarades, Basile Basile Guissou et Valère Somé lui conseillent de ne pas bouger de Paris. Eux-mêmes seront arrêtés quelques jours après le 15 octobre par des gendarmes « sous les ordres d’un certain Djibril Bassolé ».
Que sait-elle de la fameuse réunion de 20h du 15 octobre 1987 ? « J’ai le discours manuscrit que Thomas devait prononcer à cette réunion. Il voulait dire aux militaires de l’Organisation militaire révolutionnaire (OMR) de quitter le Groupe des communistes Burkinabè (GCB), et proposer qu’on fasse une pause, le temps d’expliquer aux gens que le moment était venu pour le CNR de sortir de l’ombre. On doit maintenant savoir qui en est membre afin d’éviter que des gens se servent du CNR pour couvrir des activités douteuses. C’est tout », affirme t-elle. La chute de Blaise Compaoré va-t-elle libérer un peu plus la parole pour qu’on en sache un peu plus sur cette période de notre histoire ? La patronne du Front sankariste en France l’espère, mais en attendant, elle s’implique activement dans la réussite de la Convention, étape importante pour la conquête du pouvoir par les urnes. Pense t-elle à Kosyam en se maquillant le matin ? Pourquoi pas, surtout si les militants considèrent que je suis la mieux placée pour défendre nos couleurs ?

Joachim Vokouma
Lefaso.net (France)

  • Messages publiés : 4 (triés par date)
  •   1 - Germaine Pitroipa, la dame au caractère de feu !

    13 mai 2015 09:59, par LOMPO

    Soyez comblés encore et encore vous qui avez marché avec THOMAS SANKARA ! DIEU VOUS BENISSE

  •   2 - Germaine Pitroipa, la dame au caractère de feu !

    13 mai 2015 20:25, par Tina

    J’ai eu une chair de poule en lisant cet article. Je ne militais à l’époque mais j’avais toujours eu une admiration pour cette dame qui fut haut commissaire de ma province d’origine et qui a réussit à faire plier les commerçants rebelles de Pouytenga. Sachez que vous avez marqué positivement plusieurs personnes du Kouritenga. On vous attend au Burkina pour continuer la lutte.

  • ce sont des gens comme ça dont j’ai envie de rencontrer dans ma vie. des gens intègres et qui ont une conviction. Merci maman pour ce témoignage.....

  •   4 - Germaine Pitroipa, la dame au caractère de feu !

    18 mai 2015 11:59, par rose

    Une véritable actrice de l’histoire du développement du Burkina Faso !
    Félicitation pour votre abnégation et du courage pour la suite.
    Nous comptons sur vous, Mme PITROIPA, pour l’écriture de nouvelles et belles pages de l’histoire de notre pays.

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